Claude Masse
RUE CLAUDE MASSE
“Entre 1688 et 1724, un homme arpente sans relâche les côtes atlantiques, en particulier entre la baie de l’Aiguillon, l’île de Ré et La Rochelle. C’est Claude Masse, ingénieur du roi, qui a pour mission d’en dresser les cartes les plus précises afin d’en organiser la défense contre un débarquement ennemi”. (Yannis Suire, historien directeur du Centre vendéen de recherches historiques).
Un homme d’exception, un ingénieur-géographe d’exception, un “méconnu” d’exception. Partons lui emboîter le pas … le voyage en vaut la peine !
86 ans de vie sur les chemins
Claude Masse est né en 1651 en Savoie, fils d’un discret marchand, et à l’âge d’environ 14 ans il est recruté par François Ferry, directeur des fortifications de Champagne et Picardie, comme dessinateur et cartographe. En 1679, à l’âge de 28 ans, il n’hésite pas un instant et suit François Ferry à La Rochelle où en 1697, à 47 ans, il épouse Marie Papin, une jeune rochelaise de 26 ans. Ils s’installent rue Alcide d’Orbigny. En 1724, il est nommé à Lille avec pour mission de dresser les cartes de la frontière des Pays-Bas jusqu’à l’Allemagne. Il y consacre le reste de sa vie et meurt, bien loin de chez lui, en 1737 dans le Nord, à Charleville-Mézières. “Aucun ingénieur n’a exécuté autant de travaux d’une aussi remarquable perfection“ affirment des historiens militaires en parlant de Claude Masse.
L’Ingénieur géographe
Devenu “ingénieur ordinaire” (c’est-à-dire ingénieur des fortifications) du roi Louis XIV en 1702, Claude Masse est missionné pour faire un descriptif détaillé de la Côte Atlantique. Un travail d’une importance capitale car à cette époque la France est toujours en conflit avec son vieil ennemi, la “perfide Albion” – l’Angleterre la “reine des mers”. Il va donc cartographier la côte Atlantique et les zones littorales susceptibles de permettre l’arrivée de la flotte anglaise tout en précisant les routes, bourgs, bâtiments … et, pendant qu’il cartographie la côte atlantique du sud de la Loire jusqu’aux Pyrénées, Vauban poursuit la construction de ses nombreuses fortifications. Louis XIV et Colbert ont trouvé l’homme de la situation !
L’Homme de terrain
“Je mène toujours un jeune homme pour m’aider à faire mes alignements et pour porter mon demy cercle et ma boussole. De plus il me faut au moins deux manœuvres pour conduire et traisner la chaîne et une autre pour porter une double toise et autres gros instruments pour faire mes opérations, de plus un valet et garçon pour avoir soin de tenir mes chevaux. J’ai bien essuyé du froid et du chaud et autres injures des saisons, et si toutes les sueurs qui sont sorties de mon corps en faisant ces ouvrages étoient ramassées ensemble ; l’on veroit combien le métier de lever les cartes et plans est pénible et dangereux “. On apprend aussi, à travers ses écrits, qu’il connaît des difficultés presque permanentes pour financer ses travaux et payer ses assistants.
L’art de lever les plans © glenac.blogspot.com
Le Cartographe
Masse utilise la méthode de “la triangulation” : technique permettant de déterminer la position d’un point en mesurant les angles entre ce point et d’autres points de référence dont la position est connue. Ensuite il dessine ses cartes par la “méthode des carrés”, toutes orientées au Nord et pouvant être assemblées entre elles pour former une seule grande carte générale. Sur chaque carte il consigne ses commentaires et ses observations car l’homme s’intéresse à tout : paysages, activités humaines, les cultures agricoles, l‘habitat, le commerce, les mœurs des habitants) … . D’après Catherine Bousquet-Bressolier “Claude Masse excelle autant dans le soin minutieux du dessin des cartes que dans la clarté des exposés et la pertinence des analyses.”
Ses aquarelles respectent un code couleur bien défini : il parle d’un “rouge brun tirant sur la feuille morte” pour les terres labourables et les vignes, d’un “vert guay” pour les prairies sèches … Il utilise des points pour les zones viticoles, des symboles pour les bourgs, les villes, les sites, les monuments. Ses cartes, de toute beauté, sont une véritable mine d’informations et de connaissances !
L’Environnementaliste
A travers ses dessins et ses commentaires, nous pouvons suivre l’évolution du territoire :
- les paysages, les dunes, (des “montagnes qui marchent”)
- les variations du tracé de nos côtes, “la mer (qui) sape les parties avancées“
- le développement du vignoble dans le Médoc et l’Entre-Deux-Mers
- la présence de marais desséchés ou à dessécher
- les variations des espaces fluviaux de l’estuaire de la Gironde.
Masse nous parle déjà d’un environnement aussi exceptionnel que fragile qui, de nos jours, se trouve au centre de toutes les attentions écologiques et politiques.
Le Chroniqueur de la vie quotidienne
Notre “ingénieur ordinaire” est réellement interpellé par la vie de tous les jours des hommes et des femmes qu’il croise. Il dépeint la prospérité et la richesse de certains territoires ainsi que l’extrême pauvreté d’autres. Il décrit les coutumes, les pratiques, les croyances, les niveaux de langage des habitants qu’il côtoie quotidiennement car il est souvent contraint à demander le gîte chez les habitant faute d’autre solution.
Sur la base de ses observations sur le terrain, il propose également des améliorations – le creusement de canaux, l’amélioration de l’état de routes tant elles sont en piteux état (il sait de quoi il parle !) …
Le Dessinateur – monuments, moulins, sa propre maison
Bien entendu, le cartographe ne s’arrête pas à la création de cartes ni à l’observation et la description de la vie à travers la France. A Bordeaux, Claude Masse dessine la cathédrale et la flèche Saint-Michel ; sur la côte, le phare de Cordouan. A La Rochelle, il dessine les deux tours qui gardent l’entrée au vieux port ainsi que de nombreux bâtiments publics dont certains ont disparus aujourd’hui.
Voici sa propre maison, rue Alcide d’Orbigny !
Le Fidèle Serviteur jusqu’à la fin
En 1723 à l’âge de 73 ans, Claude Masse arrive au bout du travail monumental qui lui a été confié en 1688. Louis XIV, Colbert, Vauban, François Ferry sont partis depuis longtemps. Toutefois, malgré son âge, il se voit confier sa dernière charge : le lever des cartes générales de la frontière entre la Meuse et la Mer du Nord. Heureusement, il ne sera pas seul – ses deux fils François et Claude-Félix seront là à ses côtés pendant ses dernières années. Tous deux sont ingénieurs et poursuivront le travail jusqu’à la mort de leur père en 1737.
Une vie passionnante. Une carrière exceptionnelle. D’après François-Yves Le Blanc, “Un homme hors du commun, à la fois grand serviteur de l’Etat et humaniste”. On pourrait parler encore et encore du discret Claude Masse, “ingénieur ordinaire” de Louis XIV. La qualité et l’étendue de son travail cartographique fascinent et font référence toujours.
SOURCES
Le Conservatoire Patrimonial du Bassin d’Arcachon www.conservatoirepatrimonialbassinarcachon.fr
Le Médoc, Arcachon, les Landes et le Pays basque vers 1700 : cartes, plans et mémoires de Claude Masse, ingénieur du roi » (parution : 23/11/2017)
www.boitealivres.com/livre/9782367468839-le-medoc-arcachon-les-landes-et-le-pays-basque-vers-1700-cartes-plans-et-memoires-de-claude-masse-ingenieur-du-roi-yannis-suire/
Le Monde des Moulins n°76 d’avril 2021
https://fdmf.fr/le-monde-des-moulins-n76-avril-2021
Catherine Bousquet-Bressolier
L’usage des cartes – Presses universitaires Strasbourg
Patrimoine et inventaire de Nouvelle Aquitaine
https://www.patrimoine-nouvelle-aquitaine.fr
www.infobassin.com/histoire-bassin-arcachon-shaa-masse
socgeo-rochefort.fr
ipsig.univ-lr.fr